Atelier

L'ATELIER

Vingt-quatre heures dans l'atelier

Quelle lumière ce matin ? Il est huit heures. Le soleil se lève sur l’Atlas. Je baisse les stores à l’est. J’ouvre les fenêtres au nord. Un âne braie, les moutons broutent sur la colline.

Aucune hésitation. Prendre  les pinceaux, les brosses qui conviendront, sortir les couleurs, les étaler sur la planche qui sert de palette. Rouler une cigarette, me caler devant la toile. J’y suis. Je reprends, modifie, recadre, accentue. Enthousiasme et déception se succèdent. Je m’en fiche un peu, je sais que je vais savoir atteindre ce qui se dissimule encore, ça va m’aveugler d’un moment à l’autre. C’est la toile qui m’indique les gestes à faire. C’est elle qui dirige la danse. Un tango de malade, deux pas en arrière, trois sur le côté, vas-y garde le souffle, j’adore. Moins là, plus ici, la lumière, le rythme, les intensités, je fonce, faut que rien n’échappe. Je scrute, recule encore encore, là ça fonctionne mais du coup ça bascule ailleurs, fais gaffe de ne pas perdre le tout, cadre/hors cadre, ça doit pulser partout et rester entier, ne rien négliger. Je recule, vérifie, reprends, ça dure le temps qu’il faut. Six, sept heures, je compte pas. Sans pause.

Je ne vois plus rien. Bon, j’arrête. Je nettoie le matériel et file vers d’autres aventures.

 

Lire, écrire, chanter, danser.
Se tenir au plus près de la nature sans la copier,
voir, donner à voir ce qui enchante.
Rendre à la vie ce qu’elle nous accorde à profusion,
l’éclat des étoiles dans tes yeux, le soleil sur ma peau.

Rien à faire et c’est comme ça tous les jours, je reviens quelques heures après, histoire de mesurer l’état du chantier. Bon sang, c’est évident. Avec des craies, je marque ce qui doit être repris, là et là, je griffonne, barre, souligne. C’est nul, c’est génial. Champollion s’y perdrait dans ce dédale de hiéroglyphes. Pas moi.

Bon, cette fois, j’arrête pour aujourd’hui. C’est ce que je me dis. Jusqu’à ce que dans la nuit, ça défile à toute allure, couleurs, traits, en 2, 3, 4D, waouh rien à faire, ça défile dans le noir, un cinéma de dingue. Respire, écluse un litre d’eau, dors.

Quelle lumière ce matin ? Il est huit heures. Je cavale vers l’atelier. Tiens, il pleut. Je relève les stores à l’est. Les fenêtres au nord diffusent juste ce qu’il faut. Aucune hésitation. Aucune. J’ai capté au réveil la solution, celle qui va faire péter le cadenas. Je me marre un peu d’avoir tracer hier ce trait, d’avoir griffonné à la craie ce coin de toile, c’était presque juste, mais pas comme ça. Je chantonne dans le silence de l’atelier.

La responsabilité de l’artiste : le parti qu’il prend, aussi empêtré qu’il soit dans l’Histoire et dans sa propre histoire. Quel choix faire, quelle volonté est mise en jeu ? Veut-il être compris, donner à comprendre, n’a-t-il comme solution que celle d’une démarche visionnaire qui consiste à aller loin devant soi, le plus loin possible, dans un parcours initiatique, initiateur. De quoi s’agit-il : onirisme, onanisme, intuitions géniales ?

Exclure l’analphabétisme dans l’espace créatif neutralise les improvisations stupides, les expressions névrotiques, le fatras dérisoire de lieux communs, les déchets de la mode et de ses modèles. S’approprier les grandes icônes, les exorciser puisqu’elles nous hypnotisent. Inventer, pour que disparaisse de l’atelier ce qui tue la création : la valeur marchande, le poids de la critique et le désespoir qu’ils induisent.

Le recours à l’anecdote, l’exploitation de la parodie, le manifeste politique, les discours sont autant d’éléments qui risquent de détruire la singularité d’une expression créatrice. Il s’agira davantage de résoudre, en la dépassant, la rencontre conflictuelle entre la réalité objective et une sensibilité particulière. Structurer librement le travail, rejeter tout a priori, s’affranchir du poids des symboles – la vérité anatomique, le naturalisme, le vérisme, etc. Alors, peut-être, saura-t-on quel sens donner à un acte artistique.

L’art occidental serait un cheminement allant de l’idéal au réel, du réel à l’abstrait, de l’abstrait au possible. Pourquoi attendre ? A force d’attendre demain, nous voici ankylosés, perclus de rhumatismes, souhaitant qu’on en finisse, qu’on nous empaille et qu’on nous expose au musée de l’homme. En quoi l’art devrait-il être inscrit dans une permanence qui viserait à l’immortalité, à l’universalité ? Suprême vanité idéaliste.

Tout est voué à disparaître. Comment pourrait-on l’ignorer.
Ni vieil aujourd’hui ni rédemption future,
juste une aventure qui commence à l’instant.

L’atelier suite au séisme du 8 septembre 2023.

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