Peindre

PEINDRE

La peinture permet de voir ce qui me relie au monde, ce qui me fait dire et savoir que j’existe. Elle est aussi une manière d’atteindre organiquement l’essence même d’une approche singulière du monde – celle que chacun, comme il peut, qu’il soit peintre ou non, s’évertue à saisir.

Alors, se posent des questions dont j’invente les réponses. Toutes me confirment ceci : je suis ce que je peins, je ne peins pas ce que je suis. J’ai su, au fil du temps passé dans l’atelier, que Je est une présence plastique au monde, que mon instinct est celui de l’outil – sachant que les gestes, les miens, pervertissent ou précisent, éloignent ou atteignent cette réalité.

Des brosses, une toile, de la couleur et l’envie d’y aller, c’est par ce biais concret que l’émotion se déploie au-delà et en deçà de nos drames.

Un peintre serait-il donner à voir l’indiscernable ? Je préfère penser que c’est le prodige de l’obscurité vaincue par la lumière.

Peindre : provoquer la rencontre d’un signe et d’une intention. La peinture ne tient, ne vibre, n’émeut que par la force du style, par la clairvoyance exercée dans le choix des solutions que la matérialité des choses induit : les graphes, les couleurs, les contours et détours que la lumière rendra visibles.

La palette : j’ai repéré la mienne. Le bleu et l’orange, le rose et le bleu ciel, parfois la violence du violet. L’enchantement des rapports de couleurs, leur affection. Que chantent le froid et le chaud, que vivent les taches entre elles. La théorie des couleurs est là pour ça.

Chercher, exhumer, détruire et bâtir, pour tenter d’atteindre l’or enfoui dans le corps du monde, à l’écart de ce qui nous mithridatise. La ténacité prend parfois figure de rage. La technique, peu à peu, s’élabore sans devenir un système (sèche répétition). C’est ce vers quoi je tends, sans forcer.

Equilibre, clarté et simplicité, ces injonctions propres au classicisme devront permettre d’atteindre une réelle puissance expressive. Le recours à l’anecdote, l’exploitation de la parodie, le manifeste politique écartent presque toujours  de la singularité créatrice.

Lorsque les physionomies figurales sourdent du fond de la toile, je les laisse venir, sans les forcer ni les piéger, sinon elles s’enfuiraient hors de ma vue. Elles semblent parfois maintenues sous le joug d’une torture et je me sais là, les regardant, voyeur et géniteur, devenant ainsi responsable de leur sort. Sans doute sont-elles issues de ce que la vie sur terre génère, sans doute sont-elles l’expression d’un ecce homo dont la biographie a franchi l’indépassable –  lui qui, désormais, habite une nef des fous prise dans la tempête, dans un chant de ruines. Nous sommes les mauvais de la bande, sinon nous n’en serions pas là.

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